Par Eric .:. Trimallin .:. Inn froði
histoire loufoque
pour parodier un autre livre
texte original établi
par
l’auteur lui-même
*
ÉDITIONS SABANAËLLE
PARIS 1999
" Alors, à quoi tu rêves ? » Je regardai Samantha qui venait de me tirer de ma contemplation. On venait d’installer cette nouvelle attraction dans le parc de ce petit jardin parisien et il était normal de s’intéresser à la vie culturelle de la capitale des capitales. Je posai de nouveau mon regard sur la belle mécanique, un bref instant, pour ensuite reporter mon attention sur la jeune femme, voulant lui signifier par cette attitude que je lui en voulais un peu de m’avoir tiré hors de ma rêverie, rêverie qui allait même jusqu’à flirter avec une profonde réflexion sur le sens de la vie. Mais je savais que si Samantha avait beaucoup de qualités, la méditation et l’intelligence n’étaient chez elle compensés et remplacés que par une avantageuse et opulente poitrine, et ça suffisait de toute manière pour en mettre plein la vue aux autres, et susciter leur convoitise et jalousie, ce qui état un but honorable en soi. Ses capacités spirituelles, dans une espèce de millerandage ontologique, réduisaient d’autant l’intérêt que je lui portais depuis ma décision d’ascèse.
Je lui répondis néanmoins aimablement que l’angle de rotation de l’objet devant nous était limité par la longueur de la planche qui le composait. Cette rotation partielle, et par la même, la translation verticale qui en résultait serait encore plus importante si le rayon était plus court. Ceci selon la formule, dans un triangle rectangle, côté opposé = sinus α multiplié par hypoténuse. Or plus l’hypoténuse est grande, plus le madrier est enclin à toucher prématurément le sol, donc plus la montée du point opposé à celui qui va vers la terre est brimée.
Elle ne semblait pas comprendre. Aussi, pour aider son albumineux esprit peu prompt à saisir des raisonnements abstraits pourtant parfaitement clairs, je me mis à dessiner avec ma canne dans le sable, silice subtile et évocatrice qui suscite chez moi à la fois l’écoulement inexorable du temps et également la destinée individuelle de l’homme qui n’est que poussière face à l’immensité de l’univers mais qui rassemblé devient lui-même immense, tel que l’est l’Homme et sa Sapience.
Je donnais un exemple :
Soient b = y = 50 (le référentiel doit être le même) et c = 140 et z = 200
Le but est de trouver les longueurs a et x pour en déduire b’ et y’ et ainsi prouver qu’avec c plus petit que z, b’ est plus petit que y’, ce qui tombe sous le sens pour qui à un minimum de jugeote. Il n’est pas besoin d’avoir l’instruction d’un jurat pour comprendre cela.
Ainsi selon le cercle trigonométrique, sin α = côté opposé / hypoténuse.
D’où sin α = 0,35714 dans le premier cas et 0,25 dans le second.
et α = 0,3652 dans le premier cas et 0,2526 dans le second.
De cela on tire que, selon la formule du cercle trigonométrique tan α = côté opposé / côté adjacent, b = 130 et x = 193,64 . Nous ne sommes, on le voit, pas bien loin du Nombre d’Or.
D’où, 2x = 387,28 et 2a = 260. En refaisant les calculs précédents, on trouve que b’ = tan α * 2a soit b’ = 0,382359 * 260 = 99,4134 et y’ = tan α * 2x soit y’ = 0,258198 * 387,28 = 99,9952. B’ égale Y’.
Merde. Un petit pas en arrière pour ma démonstration, mais un grand pas en avant pour la Science.
« Ben alors chouchou, c’est où qu’tu voulais en v’nir? » me dit-elle. Elle ne pouvait pas comprendre que en ce jour du 17 mai, je venais de trouver de façon fortuite une nouvelle formule mathématique.
Cela était encore plus fort qu’une épectase, j’en eus le souffle coupé. Les feuilles mortes se ramassaient à la pelle autour de moi, la délicate brise automnale, étonnamment précoce pour un 17 mai et comme voulant saluer le héros que j’étais devenu, se leva et fit tomber le chapeau de Samantha, tout en effaçant peu à peu la démonstration sur le sol qui allait certainement changer le cours des Sciences Pythagoriciennes. Grains de sables s’en allant au gré du vent et pourtant, ce raisonnement resterait à jamais gravé dans ma mémoire, mon cœur et mon âme.
« Δοννεζ-μοι υν ποιντ φιχε ετ υν λεϝιερ συφφισαμμεντ λονγ, ετ σε σουλεϝεραι λα πλανετε τερρε »* (« Donnez-moi un point fixe et un levier suffisamment long, et je soulèverai la planète terre »), avait dit le philosophe grec, et je me rendais maintenant compte à quel point tout ceci était vrai, archi-vrai. Et moi je venais de découvrir que la longueur du levier n’avait pas d’importance, plus d’importance, car en vérité la Terre se soulèverait tout autant avec un petit bâton qu’avec un gros et long madrier. Cette balançoire, nouvellement installée pour la joie des petits comme des plus grands dans le parc des Batignolles avait été pour moi l’équivalent de la pomme de Newton, ou de la douche d’Archimède. Bien entendu, La Tradition n’était pas compromise pour autant par ce que je qualifierais plus comme étant un apport de ma part qu’une révision.
J’en embrassais Samantha d’une joie et d’un bonheur incoercibles, maintenant que je savais pouvoir continuer ces recherches que je qualifierais d’ésotériques. Car ajouté à ma découverte mathématique, je me suis rendu compte que ces balançoires étaient également le parfait parangon de la citation d’Erneste Trimaigiste, trois fois grand, le saint patron de ces chercheurs d’Absolu que sont les Alchimistes. Pour le paraphraser « Tel que t’es le plus gros, tu resteras en bas, et ton camarade à l’autre bout de la balançoire, le petit léger, sera en haut. Tu donnes un coup d’talon, tu t’abaisses à faire un effort, et te voilà en haut. » Une belle leçon d’humilité, où, pour paraphraser les Écrits Saints, « Les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers ».
Tout s’éclaire sous un jour nouveau en cette fin de journée.
J’aurais tellement souhaité que Samantha eusse pu partager cette cognoissance, pour devenir si ce n’était mon égale, au moins une nana un peu moins cruche que l’on n’a pas honte de sortir à la brasserie « Les Deux Maggots », parmi l’élite intellectuelle. On avait plutôt tendance dans ces milieux soutenus à la considérer comme une créature globalement épigyne. La comparaison était certes cruelle mais les faits étaient là, et une réputation comme celle-là ne pouvait guère s’améliorer. L’écart entre moi et elle s’était d’autant plus creusé que dorénavant libéré de cette sorte de paraphimosis cérébral, je voyais encore plus loin que précédemment, la tête sortie hors des flots gris, troubles et tristes de l’ignorance profane des choses les plus élevées.
Je pensais aussitôt faire part de cette révélation à Timoré Blanchard, le célèbre épistémologiste, pour pouvoir peut-être un jour voir mon nom autre part que sous les articles de l’hebdomadaire ringard dont je faisais, au moment de l’histoire, partie, et où j’étais journaliste. Car en plus d’être chercheur au CNRS et accessoirement homme éclairé, initié, et membre des sociétés secrètes les plus renommées, comme quoi ce ne sont pas choses totalement antagonistes, Timoré Blanchard était aussi mon ami. Je ne pense pas que cela porte préjudice à la mémoire de mon camarade de Spagyrique de révéler cette double personnalité, car après sa mort brutale et tragique ses collègues du fameux centre de recherche se sont détournés de lui de façon particulièrement infecte, je l’ai bien vu lorsque j’ai eu à couvrir pour mon journal cet événement qui a fait tant de bruit dans la capitale, tant dans les milieux scientifiques, que dans les cercles initiés.
Pour Philippe qui lutte dans Magic Pockets, encore quelques aides.
Magic Boy
« L’homme quitta le square. Son allure, un mélange de nonchalance et de rigueur, allait de pair avec son âme, sereine et stable, et son esprit, qui venait de découvrir quelque chose de fondamental qui changerait la vie de tout un chacun. »
Puis continuer sur ce mode vaguement débonnaire pour attirer l’attention, et captiver le lecteur. Car si je m’en sors, je devrais tenter de rédiger mes mémoires. Ou peut-être favoriser plutôt l'utilisation du mode personnel :
« C’est alors que je vis la bascule. La planche, rendue mobile par en son centre un arceau de métal, parfaitement alésé, n’oscillait pourtant aucunement puisque personne n’avais eu l’idée de s’installer dessus. Je savais, mais quiconque aurait dû s’en rendre compte sous le charme de cette calme immobilité qui recelait tout le potentiel cinétique de l’univers, que dans un triangle rectangle, côté opposé = sinus α multiplié par hypoténuse. Or plus l’hypoténuse est grande, plus le madrier est enclin à toucher prématurément le sol, donc plus la monté du point opposé à celui qui va vers la terre est brimée etc... etc... »
Je doutais de réussir un jour à publier ces textes dont je rédige actuellement les grandes lignes dans une position plutôt inconfortable. « Ils » me pourchassent et je sais que peu ont pu échapper à leur traque sans merci. Pourtant la vérité sur toutes ces choses devra un jour se faire, on ne pouvait éternellement cacher au monde ces incroyables vérités.
Mais revenons au cours de notre histoire. Le soir même, j’allais au 5 rue Notres-Dames des Champs où habitait alors le regretté Timoré Blanchard. Je tournais la rue de Turbigo juste pour passer sous l’enseigne du « Au lapin Agile » où nous avions l’habitude Timoré et moi de boire un verre. Ce café était surtout un repaire d’h@cktivistes analystes-programmeurs qui se réunissaient pour dénoncer la conspiration maçonno-microboftienne, malgré tout nous aimions bien l’ambiance pub irlandais branché disco-trance qu’il y avait là. Le plus difficile était lorsque Christopher, un de nos amis communs, qui partageait comme nous cette Recherche Initiatique Gnostique, sortait son ordinateur portable pour nous montrer où ses recherches en étaient. Nous nous faisions alors traiter de « fascistes capitalistes réactionnaires petits-bourgeois » par ces nostalgiques du C64 et du TO7. Ils considéraient que tout avait déjà été dit en matière d’algorithmes de programmation et que Windaube2004 n’était qu’un gigantesque attrape-couillons. Je sais maintenant qu’ils n’avaient pas tout à fait tort.
Poursuivant mon chemin par la rue d’Assas, je pris au croisement entre les rues de Grenelle et du Grenier St Lazare en direction du boulevard Victor Hugo pour arriver enfin à la rue du Maine. Je savais qu’après avoir dépassé le Francprix j’arriverai à la hauteur de l’église Notre Dame des Lorettes, et à la rue de mon ami.
Enfin rendu à destination, je composai le digicode, D-666, pour entrer dans le hall. Il est bien dommage que de nos jours il n’y ait plus de concierge pour nous accueillir de sa voix bourrue mais authentique. C’est tout un pan de notre civilisation et de nos valeurs ancestrales qui s’en va, qui se brise, qui s’écroule, qui s’éboule.
Le temple n’a plus de gardien et les marchands y entrent librement, distribuant leurs tracts alléchants de cuisine mexicaine ou traditionnelle du Tennessee, avec double portion de câpres.
Je sonnai à l’interphone. Sa voix pâteuse me fit savoir qu’il était bien là, mais surtout qu’il avait peu dormi, occupé qu’il avait dû être à surfer toute la nuit sur le Web avec Christopher pour collecter des informations confidentielles et précieuses sur Mme Blavatsky, notre idole à tous. Ce que nous faisions était véritablement une recherche, la Recherche par excellence.
Je traversai le long hall pour ensuite bifurquer sur la droite, vers l’ascenseur. Ce dernier se trouvait au bout du couloir que j’empruntais. Je composai son numéro d’étage, le cinq, pour ensuite regarder les deux imposantes portes métallique se refermer sur moi, et l’ascenseur se mettre en translation verticale. « Tel que c’est en bas, c’est en haut... », voilà quelle était ma pensée, déformation professionnelle sans doute, ou plutôt déformation d’initié. Effectivement j’arrivai en haut et sur ma gauche, un nouveau couloir, qui, si je l’empruntais jusqu’au bout, me mènerait à l’escalier que j’avais eu la flemme d’emprunter. Je savais qu’il fallait que je m’arrête à mi-chemin pour frapper à la porte de Timoré. En le voyant, à seize heures de l’après-midi, comme cela, en pyjama, mal rasé et tout ébouriffé, les yeux encore gonflés par le sommeil, je compris alors toute la profondeur de l’expression « être flapi ».
Car effectivement en ce jour mon ami Timoré Blanchard avait toutes les meilleurs raisons du monde pour être flapi, et ce dans toute l’ampleur du terme.
Il me fit néanmoins entrer, et je passai le corridor pour me retrouver dans la salle de séjour, en désordre comme chez quelqu’un qui faisait passer d’autres priorités avant celle du ménage. Oui, c'est un appartement de garçon...
Il me fit asseoir et me servit d’office un Whiskey-Coca, ce qui ne présageait rien de bon, je soupçonnais mon ami de s’adonner à la boisson pour se détourner de ses problèmes. Au début, rien que du très banal dans notre conversation, le boulot, sa petite nièce Jenny qu’il adorait, les derniers films au cinéma, puis je dirigeai malgré tout la conversation sur des terrains plus hermétique. Je lui demandai s’il avait trouvé sur le Net du nouveau à propos d'Helena. À ces mots, ses yeux enfin s’illuminèrent, mais d’une lueur de folie, presque de démence. Se révulsant dans leurs orbites, ce n’était plus le Timoré Blanchard que je connaissais qui se trouvait devant moi, mais plutôt Morité Darchanbl, le chasseur de spectres, le chercheur de l’étrange, qui avait pris ce nom secret, que nous utilisions entre nous lors de soirées secrètes ou initiatiques. « Oui, me répondit-il, une information sensationnelle. » Mais à ce moment le téléphone sonna, et Timoré répondit. Il écouta un instant pour pâlir aussitôt, enfila une robe de chambre et sortit précipitamment. Impossible de le rattraper. Je ne l’ai jamais revu depuis.
Caché dans les toilettes de ce cabaret minable, mon seul espoir pour que tous mes efforts n’aient pas été vains est que l’on retrouve un jour ces notes, ces faits qui me reviennent en mémoire avec une acuité qui me surprend moi-même. L’homme acculé dans ses dernières limites, ses derniers retranchements, trouve des facultés extraordinaires qui dépassent ses capacités habituelles, comme si le destin, vieux sage grincheux mais juste, cynique mais loyal, disait dans un sourire fugace: « Vas-y mon gars, donne tout ce que tu as dans le ventre, c’est la dernière fois qu’il te sera donné de le faire. » Quiconque en ressort en est changé positivement pour le restant de ses jours, devenu plus fort, ayant goûté à l’expérience de sa vie qui se déroule comme dans un film en accéléré, et ayant ressorti de ses dernières forces une énergie supérieure et clairvoyante. C’est exactement qui m’arrive en ce moment.
Assis sur le trône, sur le couvercle refermé tout de même, et n’ayant pour écrire que les cartons qui séparent les deux dernières feuilles du papier hygiénique et qui sert à éviter que le bloc entier ne se déverse hors de la boîte lorsqu’on tire une de ces feuilles, je sais que l’impressionnante réserve prévue, sur l’étagère à côté de la chasse d’eau, au moins quatre cent cinquante blocs, ne sera pas ce qui me fera défaut. Non, le pire sera bientôt le manque de place, car les feuillets inutilisés, au moins trois cents feuilles que je jette systématiquement pour avoir un carton de 13x10 cm, commencent sérieusement à emplir l’espace du cabinet. Au bout du compte, 300x450=135000 feuilles. J’étoufferai avant. Je crains également de mélanger les divers petits cartons (j’en suis déjà au soixante-douzième) sur lesquels j’écris cette histoire. J’ai essayé également de faire disparaître le papier dans la cuvette, mais celle-ci s’est bouchée au bout du quarante-quatrième paquet de feuilles.
Après le départ de Timoré, je me dirigeai vers son bureau en espérant découvrir des indices qui expliqueraient son état actuel à la fois d’excitation et d’apathie. Je pense que c’était plus intéressant de chercher cela plutôt que d’essayer de repasser le linge qui traînait puis de le ranger dans l’armoire. Je découvrirai plus tard qu’il n’en était rien, car il existe des secrets qu’il vaut mieux parfois ignorer pour pouvoir vivre en paix. C’est à ce moment que je découvris l’ampleur de la situation.
Près du radiateur, sur la tablette qui faisait office d’étagère à pot de fleurs, je trouvai une photographie de Nadine. Instantanément je me remémorais tous les bons moments que nous avions passés ensemble, elle, Timoré et moi, alors qu’ils sortaient ensemble et que moi j’étais secrètement amoureux de Nadine. Elle était ingénieur aux ponts et chaussés, Timoré et elle s’étaient rencontrés fortuitement lors du projet « Epiglon » du CNRS. Ce programme visait à rétablir la plus juste équité quant à la répartition des panneaux indicateurs sur la R.N. 180 qui reliait les deux villes de Juvancières et d’Ampagone en Barrois. En effet, entre ces deux agglomérations la route bifurquait fréquemment et il était courant que le modeste automobiliste emprunte un mauvais chemin tandis qu’il souhaitait tout simplement se rendre d’un centre à l’autre. Juvancières étant la capitale des biscottes beurrées à la française et Ampagone celle du fromage de chèvre, il est compréhensible que les deux travaillent en parfaite osmose.
Il en fut de même entre les deux jeunes gens car Nadine avait communément besoin des solides connaissances de Timoré qui s’était spécialisé dans « les symboles des conventions modernes, attributs métaphoriques de notre civilisation post-alchimique ». Rapidement, le jeune homme s’était aperçu que Nadine le sollicitait plus qu’il n’en était nécessaire. En scientifique rationnel, il se dit que de deux chose l’une, ou elle était vraiment cloche et ne comprenait rien à rien dans une profession qu’elle semblait pourtant affectionner, ou elle était en douce amoureuse de sa personne. Il en vint rapidement à opter pour la seconde possibilité vu qu’elle semblait plus le dévorer des yeux, de ses grands yeux gris mélancoliques et rêveurs, que le listing qu’il lui montrait présentant le résultat des statistiques sur les trois dernières années en matière de signalisation routière.
J’ai branché son ordinateur qui traînait négligemment dans le bureau et la formidable machine se mit en branle. Le décompte de la mémoire vive disponible se déroula devant mes yeux impatients, et tandis que le « check-up » des divers composants se terminait, je revoyais encore les suaves expressions de Nadine et ses cheveux mystérieux, qui tiraient sur le châtain clair et qui enveloppaient son visage d’icône, de madone, comme le voile le faisait sur celui d’Isis. En parlant d’icône, voilà justement que celles de son computer venaient de s’afficher, s’affranchissant de la rigueur et de l’austérité du vieux et ancien système d’exploitation pour présenter dorénavant une gestion claire et à la portée de tous des différents outils utilisables. Mais pour le moment seule la mention « enter password », comme de juste, apparaissait. Je connaissais suffisamment mon amis pour deviner ce qu’il était susceptible d’utiliser pour protéger ses précieuses données. nadine enidan bill g. is a lame depeche mode epiglon nolgipe verseau oui 666 777 333 111 220376 samsara cfr yoda davi crockett. Aucun ne marchait. Je regardai dans la pièce pour trouver des indices susceptibles de m’aider, sachant que lorsqu’il avait cherché son mot de passe il avait alors été nécessairement influencé par son environnement, étant un scientifique incapable d’imagination et de rêve. Les livres de sa bibliothèque, « Biosphère et Macrocosme » par Reynald Prieur, « Manger de la viande en la découpant tout en la serrant entre les dents selon la méthode traditionnelle et ancestrale Laponne » dédicacé par Régis B., « Alchimie et menuiserie » par Frédéric A., « Tradition et scoutisme, le frisson du lis à fleur de peau » par le rév. M.F. Smith, « Les panneaux signalétiques autoroutiers à l’aube de l’Âge du Verseau » par Roberto Eccabacci ne me seront hélas d’aucune utilité.
Par contre en examinant de plus près un bel ouvrage à la tranche dorée, je me dis que j’aurais peut-être plus de chance avec celui-ci. Le titre est évocateur, « Contes persans des milles et une nuits ». Je tape « sésame » mais rien non plus ne se passe. Je suis au bord de la crise de nerfs, au moins lorsqu’une porte est close, il y a toujours possibilité de forcer la serrure, ou les gonds, ou même la porte elle-même avec une bonne barre à mine. Tandis que là, il n’y a rien à faire. Je clique alors sur l’icône de fermeture de la boîte de dialogue et le logiciel de protection s’arrête, me laissant pénétrer les précieuses données de l’ordinateur de mon ami. Un dossier est en évidence sur le terminal virtuel du computer, juste à côté du lancement du programme « le jeu du démineur ». Je l’ouvre et vois trois files : début1.txt, début2.doc et La_conspiration.doc. La date de dernière modification me renseigne sur l’ancienneté de chacun des fichiers. Je commence donc par ouvrir le premier et lis :
azerty ^poiu qsdf mlkj bonjour ordinateur . Je vinet de recevoir ma nouvelle bécane ,et elle assure. Je l’appellerai Billou en souvenir de ma bande dessinée préférée;Boule et Bill. Billou sera comme mon chien le plus fidèle ,la plus noble conquète de l’homme .D’ailleurs , c’est bien connu que la science est la muse de l’homme moderne . -EOF-
Le second texte est un peu plus intéressant, je peux y voir les interrogations spirituelles de mon ami :
Je donne l’ordre à Billou de remplacer chaque "a" en "å", chaque "o" en "ø", chaque "s" en "sj" et chaque "th" en "kj" et il en résultera un morceau quasi norvégien, ou danois (à condition dans ce cas de remplacer de préférence "th" en "ki").
Kjree Ringsj før kje Elven-kingsj under kje sjky,
Sjeven før kje Dwårf-lørdsj in kjeir hållsj øf sjtøne,
Nine før Mørtål Men døømed tø die,
Øne før kje Dårk Lørd øn hisj dårk kjrøne
In kje lånd øf Mørdør where kje Sjhådøwsj lie,
Øne Ring tø rule kjem åll, Øne Ring tø find kjem,
Øne Ring tø bring kjem åll ånd in kje dårknesjsj bind kjem
In kje Lånd øf Mørdør where kje Sjhådøwsj lie.
J.R.R. Tølkien
Plus fort encore, je peux remplacer les espaces par pas d’espace :
KjreeRingsjførkjeElvenkingsjunderkjesjky,
SjevenførkjeDwårflørdsjinkjeirhållsjøfsjtøne,
NineførMørtålMendøømedtødie,ØneførkjeDårkLørdøn
hisjdårkkjrøneInkjelåndøfMørdørwherekjeSjhådøwsjlie,
ØneRingtørulekjemåll,ØneRingtøfindkjem,
ØneRingtøbringkjemållåndinkjedårknesjsj
bindkjemInkjeLåndøfMørdørwherekje
Sjhådøwsjlie.J.R.R.Tølkien
Mais ici qu’est-ce ? Le remplacement de l’Espace par du Néant ou celui du Vide par un Décalage de lettres ?
Maisiciqu’est-ce?Leremplacementdel’EspaceparduNéant ouceluiduVideparunDécalagedelettres?
C’est quelque part combler une vacuité lacunaire par une vacuité que l’on peut qualifier de « dynamique double ». Dynamique car l’espace semi-cadratin est remplacé par un caractère physique qui dépend pleinement des lettres des mots qui jouxtent cet espace et « double » car on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la question duquel des deux caractères est celui qui prend la place de l’espace effacé : celui de fin du mot qui précède ou celui de début du mot qui suit ?
Ceci un peu de la même manière que ce petit programme qui permet de décaler une valeur booléenne :
x| = &x 00100111
print bin$(ROR|(x|,2))
le résultat sera bien sûr 11001001, puisqu’il y a une rotation, marquée par la fonction ROR de 2 bits vers la gauche.
Et si je pousse plus loin cette révélation métaphysique, je m’interroge de savoir si le mot « void » peut être en toute objectivité considéré comme une espace. Ainsi si en prenant pour exemple un extrait du merveilleux texte « Andante pour une vie morne » (Ed. Vuisset) de Guillaume Noruida le surréaliste :
Jevoidregardaisvoidleursvoidtêtesvoi dinutilesvoidetvoidinfécondesvoidqui voidhochaientvoidselonvoidlesvoiddiresvoidsansvoidobjetvoiddevoidmonvoid ennemi.voidIlvoids’envoidprisvoidalorsvoidcommevoidàvoidsonvoidhabitudev oidàvoidmoivoid—voidquivoidcontestaisvoidsavoiddémonstrationvoid—voidsan svoidmêmevoidréfléchirvoidquelsvoidétaientvoidlesvoidfondementsvoiddevoi dmavoidcontestation,voidtoutvoidcommevoidj’avaisvoidmoi-mêmevoiddisconve nuvoiddevoidsonvoiddiscours,voidparcevoidqu’ilvoidnevoidmevoidplaisaitvo idpas,voidetvoidquevoidjevoidn’envoidappréciaisvoidpasvoidlavoiddémarche .voidLevoidsujetvoidenvoidétaitvoidunvoidpoèmevoidqu’avaitvoidrédigévoid unvoiddevoidmesvoidcamarades,voidetvoidcelui-civoidréussissaitvoidl’extr aordinairevoidtourvoiddevoidforcevoiddevoiddétournervoidl’opprobrevoidqu evoidlevoidprofesseurvoidavaitvoidlavoidmanievoiddevoidmevoidréserver.vo idAlors,voidàvoidlavoidfoisvoidparvoidsympathievoidetvoidsurtoutvoidparc evoidquevoidj’admiraisvoidl’expressionvoiddevoidcevoidconfrèrevoidèsvoid persécution,voidjevoidm’exposaisvoiddevoidmoi-mêmevoidàvoidl’assembléevo idpourvoidengagervoidunevoidargumentationvoidparallèlevoidàvoidcellevoid duvoidméprisablevoidrationalistevoidfacevoidàvoidmoi.voidNonvoidpasvoidq uevoidj’espéraisvoidéveillervoidunvoidpeuvoidcesvoidcrânesvoidsansvoidau cunvoididéal,voidnivoidmêmevoidlesvoidfairevoiddoutervoiddevoidleursvoid certitudesvoidinjustifiées,voidmaisvoidjevoidsavaisvoidqu’ilvoidfallaitv oidquevoidj’exposevoidcesvoidvérités,voidquevoidc’étaitvoidainsi,voidetv oidquevoidmonvoidinjustificationvoidavaitvoidplusvoiddevoidfondementsvoi dquevoidlavoidleur. Jevoidjuraisvoidquevoidl’onvoidpouvaitvoidbienvoidsevoidpermettrevoidn’i mportevoidquellevoidusagevoidlorsquevoidl’onvoidfaisaitvoiddevoidlavoidp oésie,voidouvoiddevoidl’artvoidenvoidgénéralvoidpourvuvoidquevoidl’onvoi drestevoidavecvoidunvoidespritvoidfrancvoidetvoidpur.voidPourvoidsoulign ervoidmesvoiddiresvoidjevoidproduisisvoidunevoidmonographievoidd’unvoidé crivainvoidreconnu,voidquivoidétaitvoidégalementvoidbrillantvoidparvoids esvoidtableaux.voidJevoidvoulaisvoiddémontrervoidquevoidmêmevoidluivoidn ’étaitvoidpasvoidexemptvoiddevoidfaiblesses,voidcevoidquivoidnevoidgâcha itvoidenvoidrienvoidsonvoidtalent.voidMaisvoidforcevoidmevoidfutvoidd’ad mettrevoidqu’ilvoidétaitvoideffectivementvoidtrèsvoiddoué,voidetvoidjevo idnevoidpusvoidtrouvervoidunvoidseulvoidexemplevoidpourvoidcorroborervoi dmesvoidproposvoidauvoidvuvoiddesvoidpagesvoidquevoidjevoidcompulsais.vo idJevoidvisvoidpourtantvoidunevoidsortevoiddevoidfragilité,voidmaisvoide nvoidréalitévoidpasvoidcellevoidàvoidlaquellevoidjevoidm’attendais.voidD evoidsesvoidpoèmes,voidjevoidnevoidm’envoidsouviensvoidpas,voidmaisvoids esvoidpeinturesvoidsontvoidrestéesvoidgravéesvoiddansvoidmavoidmémoire,v oidalorsvoidqu’ilvoiddessinaitvoidhabituellementvoidd’unevoidtoutevoidau trevoidmanière.voidAuvoidfilvoiddesvoidpagesvoidunvoidmondevoidnouveauvo idetvoidsinguliervoidprenaitvoidconsistance,voidsivoidbienvoidquevoidj’e nvoidoubliaisvoidmêmevoidjusqu’àvoidlavoidprésencevoiddevoidcettevoidcla ssevoidhostile.voidJevoidvisvoidpeuvoidàvoidpeuvoiddesvoiddessinsvoidqui voidressemblaientvoidàvoidcevoidquevoidjevoidsouhaitaisvoidpourvoidmonvo iduniversvoidpropre,voidetvoidlavoidpenséevoidquevoidcetvoidautrevoidcré ateurvoidpuissevoidavoirvoideuvoiddesvoididéesvoidquevoidplusvoidtardvoi djevoidreprisvoidmevoidfitvoidpasservoidrapidementvoidsurvoidcesvoidillu strations.voidCevoidquevoidjevoidnevoidpusvoidm’empêchervoiddevoidvoirvo idétaitvoiddevoidtoutevoidmanièrevoidbienvoidplusvoidriche,voiddense,voi detvoidsubtilvoidquevoidtoutvoidcevoidquevoidj’avaisvoidpuvoidimaginer. Quellevoidnevoidfutvoidpasvoidmavoiddéceptionvoidenvoidmevoidréveillantv oiddevoidcevoidrêvevoid:voidj’auraisvoideuvoidainsivoidcentvoidfoisvoidl ’opportunitévoiddevoiddéveloppervoidmesvoidcréationsvoidsivoidj’avaisvoi dosévoidexplorervoidetvoiddirigervoidcevoidsongevoidplusvoidenvoidprofon deur.voidEnvoidcontrepartie,voidj’eusvoidlavoidcertitudevoidd’êtrevoidbi envoidlevoidseulvoidàvoidavoirvoidimaginévoiddevoidtellesvoidmerveilles, voidetvoidcettevoidrévélationvoidmagiquevoidallaitvoidassurémentvoidchan gervoidmesvoidvisionsvoidfutures.
Ici l’annihilation ne concerne pas uniquement celle de cet espace semi-cadratin, c’est aussi la lisibilité du texte qui en pâtit. Mais je suis convaincu que l’esprit aventureux et toujours prompt à l’expérimentation de Guillaume Noruida ne pourrait que se réjouir de mon initiative et de mes recherches formelles. Peut-être un jour enseignera-t-on dans les écoles au enfants à lire des textes sans espaces.
« Mignonneallonsvoirsilarosequicematinétaitéclose ».
L’impression des livres coûterait ainsi moins cher. Sur un plus long terme il serait peut-être possible de supprimer les voyelles des mots, pas dans la prononciation bien sûr, ne soyons pas excessif, mais au moins pour l’écriture.
Ainsi si je supprime les voyelles « a e i o u y » dans cette sextine du poète maudit et néanmoins surréaliste Maurice Banouriant, tirée du recueil « Terre sauvage de l’imaginativité » (Ed. Tuillard de la Lampe) :
vcngntrr,jnvxrgrdrlchtqscnsm;
Dnslsflmmsqchffntlbrmln’plsq’ll,
Sslvrsvrmllscntrstntvcssprrs
Qsglcntlrsmmntsnmprt.
Lht,smmtd’ntrdprr,sltmnqnsl,
nfgrsmbrctncrcntn,vcdnssmnnbrndclz
Lrsq’npltrrntllrncq’ltts,
nslhttnbssrsnrdrlrllm
tlfrrprtdplsbll,nnstjmsqcr.
nsjm’lgnlssntctdvrsrdémntl
Slàsmrfndrdnsltrq’lccpr,
nqvstgd’nplsdntlnrstmêmplslsmrs.
Jmrppllvntldsstr,dnslgrndsllstrvntlsrmrs,
Prrvqrnpssvclqlllpcts
Prdrchsdrrs,ncnnsprlplprt,
lldpstsrlslnpdrqprfm,
Cmmlvxlctm,lmllrml
Rcltdnsnchmpdcmls
Dnslqlntrvssdsmgnls
tflttnvllvprdfrtpr.
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Il serait peut-être possible tout du moins de ne supprimer que certaines voyelles répétitives, comme le « a » ou le « u » pour que cela ne soit pas impossible à lire. L’avantage encore une fois est double : gain de place, économie d’encre et de papier ; mais aussi gymnastique intellectuelle pour rétablir le texte original de la part de l’écolier. À partir de l’âge adulte cela ne devrait plus poser de problème et nous assisterions alors à une amélioration sensible de l’intelligence de l’humanité. Nous serons alors tous sages et avisés et les grands maux de notre siècle disparaîtront : chômage, racisme, illettrisme, sectarisme, hypocrisie, intolérance, bêtise et jalousie.
End Of File
C’était la première fois que je pouvais goûter toute la profondeur d’esprit et l’humanisme de mon ami et cela me faisait vraiment chaud au cœur de le savoir si bon, ayant tant de foi dans la science et la Sapience réunies. Je sentais aussi un côté « artiste » que je ne lui connaissais pas. Je me décidais alors à attaquer le troisième « file », intitulé : La_conspiration.doc.
Mon salut viendra peut-être de ce vieux cahier d’écolier quasiment vierge d’écriture que je viens de découvrir coincé à l’intérieur de la chasse d’eau. Sur les trois premières pages, l’encre délavée me laisse encore entrevoir des exercices d’arithmétiques qui ont été malheureusement pour notre élève et surtout pour la destinée de son cahier, sanctionnés par une fort mauvaise note. C’est sûrement par lâcheté, ou par crainte de ses parents, que ce petit a préféré se dessaisir de ce cahier honteux. Pauvre gosse, je n’ai pas à te juger, d’autant plus que tu me rends un fier service. Vas, fière petite tête blonde ou brune, cours loin des sentiers battus, refuse l’autorité établie, peut-être un jour feras-tu quelque chose de grand, peut-être rejoindras-tu notre anticonformisme, et serviras-tu la Tradition, celle qui se trouve loin des autorités, mais qui peut-être un jour fera autorité pour le plus grand bien de tous.
Je laissais donc le cahier dégoutter sur le tuyau d’arrivée d’eau, attendant avec impatience qu’il sèche totalement pour pouvoir y livrer ma prose. En attendant je continuais d’écrire sur ces malcommodes cartons gris, j’en étais au cent cinquante-sixième carton. Je pensais, non sans ironie, 120 + 36 = 156.
Minuit venait juste de sonner, silencieusement. La lune était comme bondissante dans le ciel sans étoiles car les stores à moitié tirés en laissaient passer les rayons par intermittence. Par moment, les nuages l’occultaient également, comme un voile cotonneux et malsain. Et moi, je revenais de la cuisine après y être allé chercher un « soft-drink » pour me redonner des forces lorsque j’entendis du bruit contre la porte d’entrée de l’appartement de Timoré. Je couru me plaquer contre le mur et écoutait plus attentivement : c’était comme un frottement, un raclement régulier. Un bruit lent et hypnotique. Je crois que quelqu’un cherchait à entrer de force dans le logement. Je pris peur et me précipitai vers le computer pour faire en vitesse une copie de sauvegarde des « files ». Quinze secondes pour trouver une disquette et l’insérer, huit pour copier les fichiers, trois pour refermer la porte du bureau tout en éteignant la lumière. J’hésitai à verrouiller la porte car je craignis que cela fît du bruit, mais je pris tout de même la peine de gâcher deux longues et précieuses secondes à le faire néanmoins. Juste comme je passais par la fenêtre puis grimpais sur la volute en béton, matérialisant la séparation des balcons, pour arriver enfin sur la sécurité du toit en zinc, j’entendis le bruit de la porte d’entrée enfin vaincue. Je me trouvais dans un petit espace d’où je ne pouvais pas rejoindre le reste de l’immeuble car le toit était trop pentu derrière moi pour y grimper et des deux côtés les avancées des fenêtres des voisins m’empêchaient de me mouvoir latéralement sur plus de deux mètres cinquante. Face à moi, le vide. Mais je savais que j’étais sauvé si personne n’avait l’idée de venir sur le toit. Ce qui restait tout de même à craindre dans le cas de voleurs, bien qu'il y ait aussi l'éventualité d'une organisation structurée et renseignée sur l’appartement à visiter, et qui était en train de frapper à quelques mètres de moi. Je pensais tout à coup au computer qui était resté allumé ! De précieuses données, fruit du labeur de mon ami Timoré, risquaient d’être découvertes, détruites ou volées. Je les entendis, deux voleurs, faire un peu de bruit dans la pièce d’à côté. Ils renversaient des affaires, cherchant et inspectant. Ils se heurtèrent à la porte close et se concertèrent un moment. Le même raclement reprit cette fois sur le seuil du bureau mais un troisième larron les prévint à voix basse, d’une voix chuintante, angoissée et pressante : « Y’a du bruit dans le couloir, magnez-vous !
— C’est rien, c’est les voisins qui rentrent chez eux… ferme la porte d’entrée et viens nous aider !
— Et si c’étaient les flics ? Si on nous avait entendu ?
— Il est trop tard de toute manière, ils sont déjà dans le couloir. Il faudrait qu’on passe par la fenêtre mais elle doit être dans cette pièce qui est fermée !
— Moi, je me casse, ça craint ton plan ! »
Alors la porte claqua et le guetteur s’enfuit, sûrement talonné par les deux autres à qui il avait communiqué sa peur car je n’ai rien entendu d’autre par la suite. Il ne devait plus y avoir de monde dans le couloir car aucune alerte ne fut donnée, il n’y eut pas un cri. Que faire, barricader la porte d'entrée ? Qui que ce fût, ils pouvaient revenir d’un moment à un autre et je devais partir au plus vite. Je déverrouillai la porte de la chambre. Face au computer qui luisait comme un mystère dans les ténèbres du bureau, en diffusant une lumière irradiante comme un néon tempéré et sobre, je pouvais enfin siroter mon soda en lisant finalement le dernier file. Pris dans mon intérêt pour son contenu et avide d’en connaître toujours plus, je n’ai pas fait attention à l’heure tardive, pas plus que je me suis souvenu de ma résolution de quitter les lieux au plus vite. J’avais une disquette contenant le fichier, pourquoi rester alors que je pouvais le visionner ailleurs ? C’est pourtant ce que je fis en dépit du bon sens, mais mon attente aurait été sinon à n’en pas douter par trop insoutenable. J’ai doublecliquetté sur l’icône du fichier et ai vu sous mes yeux :
Cela fait déjà deux mois que je les soupçonne. Ils n’en savent encore rien, mais un jour finira par venir où ils découvriront que je les ai découvert. Je n’ose encore prévenir la police car si pour moi leur culpabilité ne fait aucun doute, les preuves que j’ai réunie contre eux ne seront certainement pas considérées comme suffisantes, car ils sont puissants. Très puissants. Ils sont très influents aussi et ont des ramifications dans tout le gouvernement. Ils descendent d’une secte vieille de près de deux cent cinquante ans et leur organisation est quasi-inconnue. Ainsi si les francs-maçons sont bien repérés et si leurs membres sont identifiés, il n’en est pas de même pour l’Ordre de l’AMOTC. Ils sont bien sûr contre le prosélytisme et leur recrutement — contrairement aux francs-maçons — se fait toute en subtilité et finesse car ils n’acceptent pas n’importe qui. Il ne suffit pas d’aimer le pouvoir et l’argent pour en être car ils ne recrutent que parmi ceux qui ont déjà pouvoir et fortune. Mais il ne s’agit ni de pouvoir politique, ni de fortune matérielle. Du moins pas pour ceux qui sont en bas de l’échelle. Les plus gradés dans l’organisation sont en fait ceux qui ont été contactés et engagé en dernier et ce ne sont pas eux qui dirigent l’Ordre. Les vrais chefs ne sont que de simples manœuvres qui ont besoins des services des puissants qu’ils ont nommés à leur tête. Seul le chef suprême de l’Ordre connaît cet ordre des choses et il est là pour assurer le cohésion de l’ensemble : les autres n’y voient que du feu. Comment un tel système a pu durer depuis toutes ces années, le mystère reste entier.
En 1743, Willem de Tulippenkreutz était alors un modeste éleveur de la région nord de Groningen, en Hollande. Son père lui avait enseigné les valeurs d’une vie menée par les lumières de la religion catholique, et il faisait un peu figure de paria parmi ses voisins calvinistes. Ses nobles origines avaient été rendues caduques à cause de cette prise de position justement.
C’est dans sa jeunesse que Willem découvre la littérature de Pieter Cornelisz Hooft. Il est aussitôt frappée par cet esprit à la charnière du Classicisme et de la Renaissance. Comme lui il voudra descendre vers le sud de l’Europe, berceau de cette culture latine qu’il affectionne, mais le jeune homme s’éprend d’une jeune fille de son village qui lui donne bientôt un enfant. Willem restera donc dans son pays, même après avoir passé ses examens à Leeuwarden, au nord de la Frise. Ses intérêts convergent alors assez nettement vers les sciences, après avoir suivi la branche de la philosophie durant ses études. Il régnait alors dans le pays des relents de la crise du siècle dernier, bien que Guillaume V d’Orange ait tout fait pour apaiser les esprits, et ce dès son accession au trône en 1751 : deux ans plus tard des accords sont signés, le traité d’Apeldoorn, qui met fin à l’obligation des marchands des Pays-Bas de se fournir en laine exclusivement anglaise. Il faut dire que depuis Guillaume III qui cherchait de plus en plus à aligner sa politique économique sur celle de l’Angleterre, avec la mauvaise fortune que l’on sait, le rapprochement des deux pays, dont le point culminant est la montée sur le trône britannique du monarque flamand en 1689, devient vite oppressant. Malgré ce déclin économique tout relatif — encore qu’Amsterdam reste une des principales places financières d’Europe — les sciences ne font que progresser : il faut se souvenir à ce propos des problèmes rencontrés en Suède le siècle précédent où la crise politique prend le pas sur l’érudition, l’université d’Uppsala restant fermée tout le temps que Gustav Vasa ne s’en préoccupe plus. Ici, ce n’est pas le cas et Willem Van Tuulipeenkreutz ne peut que s’en réjouir : après avoir effectué des découvertes importantes dans le domaine de la botanique, il a notamment découvert et démontré le principe de la synthèse chlorophyllaire dans les cellules végétatives de la rhubarbe naine, il est initié à la géomancie par l’intermédiaire du peintre Esaias Voouypijk (1678-1781), un des derniers peintres à ne pas avoir sombré dans l’académisme et dont Novalis se souviendra lors de la prise de conscience romantique. Voouypijk sera aussi une influence majeure pour Mondrian : ce dernier le découvrira en visitant le musée de sa ville natale, Alkmaar.
C’est d’ailleurs dans cette ville que Willem et Esaias se sont rencontrés en 1771, date du déménagement de notre scientifique et de sa petite famille. Aagje, sa femme, venait juste de donner naissance à Menno, qui aura son importance dans la suite de l’histoire de l’Ordre. Willem subira alors une intense crise religieuse qui le mènera à remettre en cause sa vision du monde. Il parlera de cette période de sa vie dans l’unique écrit autobiographique qu’on lui connaît, « Het Oeg in Hemel » (1772). Il découvre ensuite la chimie vitale et atomique en compagnie d’un mystérieux personnage qui a, paraît-il, 134 années. Dès ce jour Willem sera un dévoué disciple au service de la vie qui habite la matière. Il essaye de réunir diverses personnes qui partageraient les mêmes aspirations que lui mais il n’en trouve pas, alors il décide de s’adresser aux hommes par l’intermédiaire de leurs plus bas instincts et il contacte des riches, des bourgeois en leur faisant miroiter de l’or et encore plus de richesses. Grâce à son initiation il est maintenant capables de prouesses chimiques comme de transmuter des métaux de formule atomique proche de l’argent ou de l’or en ces métaux même, grâce à
Cette application ne peut trouver l’objet auquel vous voulez accéder. Votre système est devenu instable. Le programme va fermer. Toutes les données qui n’ont pas été sauvegardées seront perdues. Windaube2003 va redémarrer.
C’est à ce moment-là que je bénissais le souvenir de ma rencontre avec R. C’est à dire cinq mois plus tôt que les événements que je suis en train de décrire, et dix mois avant ce jour, où je suis en train de narrer cette histoire. R.. Comment était-il ? C’était quelqu’un qui vivait sa foi avec ferveur, la ferveur de quelqu’un qui vivait sa croyance, élevée en dogme, avec passion, la passion d’un initié. Moi je ne l’étais pas encore mais je m’intéressais à ce sujet d’une manière extérieure, superficielle, exotérique. Je préparais alors ma thèse sur le mythe d’Atlantide, et je collectais des informations à la bibliothèque Sainte Geneviève. Je dis bien « collectais », car il est peu de livres qui traitent ce thème avec sérieux et objectivité de nos jours. Je pris l’encyclopédie — ah, on ne devrait jamais, au grand jamais, faire confiance aux encyclopédies — que j’ouvris sur « Atlantide ».
« Vous projetez de faire de la plongée sous-marine jeune homme ? » me demande alors le vieillard assis non loin de moi. Je le regarde, ne comprenant pas. « Votre livre est ouvert à la page Atlantique, alors vous comprenez que j’aie toutes les raisons de croire que vous êtes un adepte des profondeurs. Mais peut-être, suis-je dans l’erreur, et qu’il s’agit d’autres profondeurs que vous escompter atteindre. .... »
R.. Je me souvient encore tellement bien de lui avec son crâne chauve et ses oreilles décollées par l’action conjointe de ses éternelles lunettes à montures bon marché et de ses froncements de nez, ceux-ci faisant ravancer ses binocles dans la même proportion et contribuaient ainsi à lui tirer d’autant plus les pavillons auditifs que ses yeux vieux et fatigué s’arrêtaient sur un passage obscur du Tao Të King ou de la Bahavaga-Gita. Car si ces livres peuvent paraître compliqués pour un non-initié, ils le sont encore plus pour celui qui sait lire entre les lignes car lui seul sait que rien n’est acquit, et qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. R.. Je l’entends encore marmonner entre ses babines émaciées ses formules absolues et terriblement vraies sur le sens de la vie : « La vie c’est une école qui nous enseigne à progresser. » C’est tellement vrai. Cet homme m’a tout appris. Même ses maximes n’étaient pas dénuées de bon sens: « Si tu pouvais me donner un peu de la crotte qui se trouve dans tes yeux, t’obstruant la vision, t’empêchant de voir la Vérité en face ; alors peut-être que si j’y mets mon pied gauche dedans cela me portera chance... » Cela pourra ne sembler vulgaire que pour un esprit vulgaire, selon la loi de l’analogie contraire, car en réalité, c’était tout à fait vrai. Une fois qu’il vous avait asséné une de ces vérités, il n’y avait plus qu’à regarder humblement le sol.
Je travaillais aussi à ce moment à ma thèse sur Christophe Colomb, et autant dire tout de suite que l’autre thèse que j’écrivais en parallèle sur le mythe d’Atlantide nourrissait richement ce sujet, et vice-versa. De toute manière elles n’étaient heureusement pas toutes deux destinées à la même université. « Le royaume d’Atlantide initiateur de l’invention du suaire de Turin » était préparé à l’université de Paris II avec Monsieur Jean-Christian Dureuil de Parate, Professeur d’histoire antique des Amériques à Paris II, Maître de conférence à l’université de Caracas et directeur de la section sindonologie au Vatican à Rome. Tandis que mes recherches sur « Christophe Colomb, membre de la secte Det fjerne Thule, sur les traces de Röðe Eirikr* (Eric le Rouge) et de Marco Polo » m’était réclamée par l’université d’Odense et j’étais dirigé par Lars-Knud Pedersen, Professeur de langues ibériques à ladite université. Nous avions déjà bien entamé le débat lorsque Sandrine, ma petite amie à l’époque, vint alors s’asseoir à notre table et je fis les présentations entre elle et R.. Mais ils se connaissaient déjà, m’apprirent-ils, R. était déjà venu plusieures fois à la boutique où elle avait un petit job. R. eut un sourire forcé, et prétextant un rendez-vous il nous abandonna, mais je fus plus prompt à le retenir que lui à s’éclipser et comme j’en avais fini de lui parler de mes études, je lui demandais ce que lui faisait dans la vie. « Ma fois, jeune homme, commença-t-il, cela m’a l’air très intéressant ce que vous traitez comme thèmes, mais peut-être pourrez-vous m’en parler en détail un autre jour, et me montrer vos notes de travail, alors peut-être pourrais-je vous aider de ma modeste sapience, car ce sont des sujets que je connais un peu je dois dire. Vous me demandiez ce que je faisais dans la vie, hé bien je vais vous le dire. » À ce moment la sonnerie de la bibliothèque retentit car elle fermait, c’était la fin de la journée pour le temple de la culture et du savoir, il était seize heure vingt-cinq. Nous dûmes nous séparer à contrecœur, mais je savais que je reverrai cet homme d’exception un jour ou l’autre.
« Tu parles d’un homme d’exception ! jeta Sandrine. C’est un vieux cochon, ça oui, c’est sûr ! Il vient deux fois par semaine dans notre boutique au rayon lingerie, et la patronne en a raz-le-bol de lui, elle a dit que la prochaine fois elle appelait les flics !
— Au moins comme ça je sais où je peux le retrouver. Merci du tuyau !
— Ah ils sont bien tes amis ! Vous faites la paire tous les deux : le vieux vicelard et le jeune écolier ! Je te préviens que tu ne le rencontres plus en ma présence ! »
Je savais que quand Sandrine était énervée, il n’y avait rien à faire pour la calmer, c’est pourquoi je décidais de clore là la discussion et je lui proposais plutôt une petite sortie.
« Sortir en boîte ce soir ? Ma foi oui, pourquoi pas ? fit-elle avec sa petite moue amusée qui me séduisait tant. À la condition express que l’on aille aux Bains. Là au moins je suis sûre de ne pas voir ton « copain » : avec la dégaine qu’il a, il ne fait aucun doute qu’ils ne le laisseront jamais entrer s’il s’y pointe ! »
Ce fut fait comme convenu et nous avions passé une soirée délicieuse aux sons des rythmiques saccadées et hypnotiques des musiques de notre temps.
Le rédacteur me fit venir dans son bureau pour m’annoncer lui-même ma promotion : j’étais désormais responsable de la nouvelle rubrique qui venait de s’ouvrir dans les pages de notre magazine. Cette rubrique avait pour titre : « Mod’Art — Contemplez moderne, Vivez l’Art contemporain ». Nous devions frapper fort pour la première : non comptant de proposer une interview exclusive d’Arment, nous allions couvrir le vernissage de l’exposition de Jen Pôl Devue à la galerie Stanislas Savomaïtch dans le VIIIe arrondissement. Le directeur, Boris Gournach, nous avait promis l’exclusivité car aucun autre journal n’avait été contacté. Le vernissage était ce soir. J’avais donc mon après-midi de libre.
Je suis allé flâner chez les disquaires d'occasion du Ve, mais pour une fois je n'ai rien trouvé de potable en free jazz. Par contre dans la partie librairie, je suis tombé sur un livre à propos de la vie de Mondrian, que je m'empressa d'aquérir. Peut-être pourrais-je y trouver des informations qui corroboreraient celles glânées dans les documents de mon ami. Revenu chez moi, je me fis un café, et regarda un peu les informations à la télévision. /.../
Je pris donc ma moto et fonçai vers le boulevard Haussmann. Je tournai rue de Marbeuf puis continuai vers la rue Chaptal. Après une centaine de mètres j’arrivai en face du square de Montholon. Dans la petite ruelle se trouvaient déjà les grosses berlines des personnalités invitées. Tout un chapelet de gardes du corps gardait l’entrée mais grâce à ma carte de presse je pus entrer sans encombres. Dans la grande salle au plexiglas mat et aux vitrines étincelantes, le contraste des deux types de matériaux se faisait poète pour mieux nous montrer la diversité de la vie, et la perfection de ses manifestations avatariques les plus luxueuses. Des tuyaux et des gravats se trouvaient à un bout de la salle, et de l’autre se trouvait toute une théorie de personnalités qui attendaient pour accéder au buffet, version apocalyptique et quasi post-nucléaire d’une soirée à l’Élysée.
Dans cet écrin de matité et de brillance réunies la terre affleurait du sol et des monceaux de vil plastique recouvraient les rares endroits où des dalles de marbres avaient été posées. Dans cet écrin à la mesure de l’importance des sommités présentes, la poussière recouvrait encore les moulures délicates du plafond, et une odeur de soudure envahissait l’air ambiant. L’Art n’a pas de limites.
Seul un homme formait un troisième ensemble à cet ensemble. Il avait la tête prise entre les puissantes et larges paumes de ses mains ce qui ne l’empêchait nullement de la secouer désespérément dans un sens puis dans l’autre. Il se distinguait par ses habits communs, son pull à grosses mailles kaki et son pantalon à côtes moutarde. « Vous êtes l’artiste je présume ? lançais-je.
— Hélas, pas aujourd’hui, répondit-il mollement.
— Et pourquoi cela ? Je ne vois ici aucun autre artiste, mis à part ceux que je reconnais et qui n’exposent pas ce soir : Sésar, Benne, Nike de Saint-Folle, Arment... Vous êtes Jen Pôl Devue, n’est-ce pas ?
— Hélas, oui, c’est effectivement moi. Mais voyez-vous cette tuile qui s’abat sur moi ? Je trouve un formidable concept à développer, j’en fais part au directeur de cette galerie qui trouve l’idée excellente et il me promet que les travaux seront terminés pour aujourd’hui. J’arrive cet après-midi et je vois ce que vous avez sous les yeux…
— Je comprends, vous n’avez ainsi pas la place pour tout exposer, et c’est ce qui vous mettra dans cet état.
— Oui… en quelque sorte. »
À ce moment le directeur arriva pour me saluer. C’était un homme gras à la face slave et rougeaude. Il me fit un bref sourire, et en me saluant il me broya la main dans ses grosses pattes ursides.
« Bonjour M. journaliste. C’est pas ça l’œuvre du monsieur, hein. ça être grosse erreur de ma part, les camarades de Moskva pas donner assez d’argent pour terminer le travaux. Demain, oui, seront terminés. Tout le monde revenir après-demain pour voir chef d’œuvre. Mais ce soir, faut manger les petits fours ! Ha ha !
— Vous savez, je ne venais pas pour cela. Mais comment allez-vous faire pour expliquer le problème aux autres ? Se sont-ils rendu compte de l’ampleur du problème ? »
Le dialogue, encore plus surréaliste et décalé que les œuvres qui seront exposées le lendemain, sonnait faux à mes oreilles. La naïve prose russe, dans tout son boniment et sa mauvaise foi de vendeur, sentait l’arnaque, alors même que le marchand n’avait rien encore à nous vendre. Je pris alors conscience de l’évanescence des rapports humains qui entrent en compte lors de ces passages obligés de la vie culturelle : promotions, réceptions, galas, vernissages.
Arment vint à ce moment pour saluer l’audace de l’artiste. Il s’exprima en mots somptueux et sublimes sur la sublimation de l’œuvre et la vision postdadaïste qui l’avait si profondément séduit dans le tas de gravats.
Aucun de nous n’eut le courage de lui dire son erreur. Mais néanmoins ses mots furent si touchant que je ne me permettrais certes pas d’essayer de les retranscrire ici, craignant l’omission qui déshonore et appauvrit, et ayant sans doute un peu oublié ma brusque prise de conscience sur la vacuité des rapports en société* (et en compagnie des artistes d’art contemporain en particulier). Le mot « génial » revint assez souvent néanmoins, cela je m’en souviens.
Je repensais encore à mon aventure de l’autre soir. Quel dommage que je n’ai pu lire la suite du fichier sur la conspiration. Une erreur, peut-être dans la table d’allocation des fichiers, avait rendu le disque dur inutilisable. Il me restait donc à espérer qu’une des disquettes dans le tiroir de son bureau contienne la sauvegarde de ce fichier. Par ailleurs il me vint une idée en rapport avec ce sujet.
« Dites-voir M. Arment, vous qui êtes plutôt calé dans le domaine de l’art, connaissez-vous un peintre flamant qui s’appelait Esaias Voouypijk (ses dates sont 1678-1781) ?
— Bien sûr, un homme éclairé il me semble, il était capable de sublimer ses œuvres aux moyens d’artifices assez occultes (et en disant cela Arment me fit un petit clin d’œil quasi imperceptible), comme la Kamera Obscura, et il me semble que c’est lui qui a perfectionné la technique de la tempéra.
— Occulte ?
— Kamera Obscura ? coupèrent respectivement Boris Gournach et moi-même.
— Esaias Voouypijk était le genre d’homme à rechercher les chemins cachés et difficiles, finit Arment sans répondre directement à nos interruptions, mais les réévoquant tout de même indirectement. Arment était sans aucun doute un homme initié lui aussi, et il s’employait à jouer ce rôle avec subtilité, pour converser en tout ésotérisme avec un autre initié — moi —, et cacher sa sapience aux autres.
— Esaias Voouypijk a eu un rôle beaucoup plus important dans le monde de la peinture qu’il n’y paraît de prime abord, continua Arment. Il était le genre d’homme à déclencher l’hostilité des puissants par ses positions dérangeantes face à la perfectibilité et la faillibilité de l’homme. Et cela dérangeait. Il a eu aussi un rôle non négligeable dans la fondation de l’AMOTC.
— L’AMOTC ? demandèrent en chœur Jen Pôl Devue, Boris Gournach, et un journaliste de « iPortables » — le magazine des téléphones cellulaires (preuve que l’exclusivité de ce vernissage à notre exposition n’avait pas été très respectée) — qui allait comme une abeille qui butine de groupe en groupe pour faire connaître son magazine, qui soit dit en passant fêtait son 50ième numéro et offrait des kits d’abonnement téléphonique à cette occasion.
Je souris en moi-même car j’avais une petite connaissance de l’AMOTC depuis ma prise de connaissance des notes de Timoré. Il fallait que je fasse part de mes compétences à Arment pour m’attirer ses sympathies et pourquoi pas quelques renseignements complémentaires.
« Vous parlez du Rite Hollandais Traditionnel et Accepté, ou de celui Réformé ? » Ma remarque fit mouche car l’artiste, à peine mes mots prononcés, détourna la conversation, et s’arrangea pour s’éclipser tout en m’attirant à lui, pour que nous puissions discuter à l’abri des oreilles, sinon indiscrètes, tout du moins profanes.
« Accouchez, me dit-il brusquement, d’où tirez-vous cette connaissance d’une des seules sociétés secrètes qui reste bien secrète encore aujourd’hui.
— C’est peut-être la seule, fis-je débonnairement.
— C’est peut-être en raison des méthodes qu’utilise le clan en vu de la maintenir secrète. Alors, répondez ! »
Je prêchais alors le faux pour connaître la vérité et dit, idiotie suprême :
— Je ne suis qu’un étudiant en parapsychologie qui vient d’être recruté il y a peu, je suis donc en bas de l’échelle. (Je me souvenais du texte de Timoré : « ...Du moins pas pour ceux qui sont en bas de l’échelle. Les plus gradés dans l’organisation sont en fait ceux qui ont été contactés et engagé en dernier et ce ne sont pas eux qui dirigent l’Ordre. Les vrais chefs ne sont que de simples manœuvres qui ont besoins des services des puissants qu’ils ont nommés à leur tête. Seul le chef suprême de l’Ordre connaît cet ordre des choses et il est là pour assurer le cohésion de l’ensemble: les autres n’y voient que du feu... »). Sa réponse me fit comprendre que lui aussi prêchait le faux pour connaître le vrai, à moins qu’il ait vu parfaitement clair dans mon jeu :
— Vous verrez, vous grimperez vite les échelons vous aussi si vous êtes doué. »
Le directeur de la galerie fit une allocution à ce moment-là en rapport avec les travaux de la galerie, avec un petit problème au sujet de l’expo, ce que nous voyions n’étant pas ce que nous croyions voir etc... En tout cas cela coupa court à ma conversation avec Arment et nous avons terminé notre soirée chacun de notre côté, sans avoir l’occasion de converser plus longuement sur ces sujets graves et profonds.
Lorsque je revint dans l’appartment [sic], les disquettes avaient disparues de leur place. Le disque dur du computer aussi, comme je m’en rendis compte en allumant ce dernier au message d’error qui apparu sur le screen (Boot failure. Press F1 to resume). Quelle poisse ! Comment faire ?
Nadine sonna chez moi en ce clair petit matin de mai, je ne l’avais pas revue depuis six mois et cela me fit un petit pincement au cœur de revoir ses grands yeux gris mélancoliques et rêveurs. Elle semblait bouleversée.
« Timoré a disparu ! Et la porte de son appartement a été fracturée !
— Quoi ! dis-je. Je veux dire, oui, je sais, ses disquettes aussi ! J’étais chez lui lorsqu’il est parti.
— Quoi ! Tu le savais et tu ne m’en as rien dit ! Qu’en pense la police ?
— Je veux dire, je ne savais pas que vous étiez encore ensembles. Je n’ai pas pensé non plus à prévenir la police…
— Quoi ! Mais à quoi penses-tu ?
— Cela ne fait que trois jours, la coupai-je. La police ne commence des investigations qu’au bout d’une semaine ou deux si mes souvenirs sont bons.
— Bon, mais ce n’est pas une raison, répliqua-t-elle finalement un peu apaisée. Par contre si quelqu’un s’est introduit illégalement chez lui cela change la donne. Je téléphone immédiatement aux flics ! »
Ce qu’elle fit prestement, aussi prestement que ses mignonnes jambes menues au galbe néanmoins parfait le permettaient dans sa mini-jupe de qualité, achetée par Timoré chez un grand couturier du VIIIe arrondissement.
Ils lui dirent qu’il fallait qu’elle vienne elle-même faire sa déposition, et même « s’il n’y avait pas une seconde à perdre pour entamer les recherches », ils demeurèrent intraitables.
Je l’accompagnai au poste de police.
Dans la soirée me suis enfin rappelé que j’avais fait une copie de sauvegarde de tous les fichiers sur une des disquettes. Quel idiot ! C’est pas croyable. Il me suffit d’utiliser mon propre ordi pour visionner le « file » et lui faire dire ses mystères.
J'allai me prendre un thé glacé que Samantha avait ramené du supermarché, ouvris une tablette de chocolat fourré à la fraise (les goûts de cette fille en matière de sucreries m’étonneront toujours) et allumai mon ordinateur. Le temps que le système d’exploitation finisse de charger, j'eu le temps de me préparer un café et de fumer une cigarette. Je me remémorai alors l’heure passée où nous avions tenté de déposer notre plainte au poste de police, le préposé demandant expressément le témoignagne d'un membre de la famille même de Timoré pour apporter les preuves de nos dires.
« Mais puisque je vous dis que j’étais sa copine, hurlait Nadine.
— Était, vous le précisez vous-même, répondit le brigadier. Il avait une moustache, du type particulier et désuet que l’on nommait « bacchantes » avant que cela ne tombe en désuétude parmi les gens normaux et était l’archétype même du flic tel qu’on se l’imagine. « Avez-vous le certificat de divorce au moins ?
— Mais bougre d’idiot, vociféra Nadine, puisque je vous dis que nous étions ensemble, cela ne veut pas dire que nous étions mariés.
— Je vous prie madame de prendre un autre ton, je comprends que vous soyez choquée, mais si vous continuez à m’insulter je vous coffre ! Alors puisque vous n’étiez pas mariés, pourquoi dites-vous que vous étiez ensemble ? Étiez-vous ce qu’on appelle un flirt ? »
J’intervins alors, comprenant que cet agent un peu rétrograde n’avait toujours pas assimilé les mœurs qui sont en vigueur de nos jours.
« Elle veut dire qu’ils vivaient en concubinage, mais qu’ils se sont séparés depuis.
— Ah, et ben il fallait le dire… Alors quelle est votre plainte à son encontre ? A-t-il été brutal à votre égard ? Vous savez, si vous n’étiez pas mariés, il risque d’être difficile d’obtenir le divorce… »
Cette scène piteuse se poursuivit ainsi une bonne heure, et il nous a fallu donner nos coordonnées complètes, nos empreintes digitales et enfin ils ont dit être prêts à entamer les recherches si nous n’avions rien de nouveau dans une semaine, on ne peut pas empêcher les gens d’aller où leur bon vouloir les conduit n’est-ce pas ? Et puis on ne déplace pas les forces de police juste parce que quelqu’un à une petite lubie.
Pour l’appartement ils feront un tour, histoire de voir s’il peut y avoir un lien entre les deux, mais vous savez, de nos jours le petit banditisme gagne du terrain.
Où en étais-je dans ma lecture ? J’ouvris mon traitement de texte et le précieux document virtuel, pour continuer mes découvertes :
/…/ Grâce à son initiation il est maintenant capables de prouesses chimiques comme de transmuter des métaux de formule atomique proche de l’argent ou de l’or vers ces métaux précieux, grâce à un procédé ingénieux : il utilisait ces métaux, acheté à bas prix, dans /.../* (la suite manque dans le manuscrit original).
Il préparait ces métaux avant de les montrer à ses mécènes, et leur faisait croire que c’était eux les sorciers qui pouvaient créer à volonté le métal précieux, il leur suffisait juste de fabriquer un réactif tout simple qui terminait le travail que lui avait commencé. Il vendit fort cher ces formules tronquées et une quantité non négligeable de métaux préparés pour que ses victimes ne puissent avoir l’idée de se procurer elles-mêmes ces métaux simples et bon marchés, quoique un peu difficile à dégoter à l'époque, ce qui leur aurait fait découvrir le pot-aux-roses.
Il leur apprit aussi à tirer l’or du néant, ce qui était impressionnant mais ne pouvait produire le métal en grande quantité, comme le prouve cette formulation :
« Dans un verre à eau, verser une solution de sulfate de fer et hydrochlorate d’ammoniaque. Ajouter un peu d’ammoniaque, remuer et laisser reposer quelques heures ou une nuit entière. Alors il s’est formé des taches grosses sur la surface, ou une pellicule. Verser une goutte d’éther, et repêcher sur papier. Tremper les papiers en mercure qui dissout l’or et laisse le fer. Si la pellicule est trop forte et brune, verser le tout dans un verre plus grand et diluer avec de l’eau. Laisser reposer quelques heures. Les taches grasses se présentent, quand elles sont mûres, en belle couleur jaune d’or métallique sur le papier. Vous pouvez dorer avec votre amalgame. »
Willem Van Tuulipeenkreutz devint ainsi le premier membre de sa secte, qu’il décida de baptiser « Tulipe Croix ».
Menno, son fils, devient alors Proconsul Imperatores, étant le second membre, ce qui jettera les bases de la méthode future de commandement, selon la parole de la Bible « les premiers seront les derniers et les derniers les premiers ». Menno descendra bien sûr de grade au fur et à mesure que de nouveaux membres seront recrutés. Il y eut une période de transition, pour que ces nouveaux venus ne s’étonnent pas d’accéder immédiatement à la plus haute place. Ensuite, lorsqu’ils y sont, tout le reste n’est que manipulation. /…/
Ma lecture se poursuivit une grande partie de la nuit, et à mon tour je devais avoir l’aspect « flapi » au petit matin. C’était dimanche et je pu me rendormir un peu, faire la grasse matinée. Vers les treize-quatorze heures, je pris le téléphone et composai le numéro de Nadine, sous le prétexte de lui demander des nouvelles de Timoré et pour savoir si la police avait rappelé, mais en fait je voulais avant tout essayer d’obtenir un rendez-vous que l’on pourrait qualifier de « galant ».
« Bonjour Nadine, c’est moi, je ne te dérange pas ? Je voulais savoir si tu avais des nouvelles de Timoré.
— […]
— Et sinon, la police a rappelé ?
— […]
— Bon, dommage. Enfin, pas de nouvelles, bonnes nouvelles comme on dit. Sinon si ça te dit de venir te balader avec moi sur les bords de Seine, on pourra parler de Timoré.
— […]
— Bien, alors je propose que l’on se retrouve sur les quais en face de l’institut du monde Arabe, dans une demi-heure, ça te va ? »
J’espérai offrir un épaule protectrice et surtout consolatrice à cette belle enfant, mais j’avais malgré tout un peu mauvaise conscience de faire cela en utilisant la mémoire de Timoré. J’avais alors à ce moment l’intuition que je pouvais parler de « sa mémoire », car je pensais déjà au pire. Si j’avais pu penser il y a quatre jours, lorsque j’étais au parc avec Samantha, et inaugurait ma découverte, que je ne reverrait plus ce bon vieux Timoré... À propos de la découverte, soit dit en passant, je n’en avais en fait pas la primeur puisque j’appris par la suite qu’un certain Thalès avait découvert ce phénomène parallèlement à moi, mais à quelques siècles d’intervalle tout de même. Cela me donna d’ailleurs envie de revoir R., à qui je n’avais plus rendu visite depuis qu’il avait été la cause de ma rupture avec Sandrine, il y a cinq mois de cela.
Mais je songeais que Nadine risquait de ne pas plus l’apprécier que Sandrine ne l’avait fait.
R. vous déstabilisait, comment dire ? C’était ces yeux qui semblaient vous dire : « je vois clairement en toi, je lis en toi », ces yeux profonds et mouillés, à cause de ses lectures qui lui prenaient tout son temps libre. Une regard à la fois clair et sombre, chafouin et lumineux. R. travaillait à la banque, et tout en faisant ses comptes, sa seconde main sous le bureau, il rédigeait des traités d’ésotérisme, pour ne pas perdre de temps. Il était capable d’avoir plusieurs activités intellectuelles à la fois.
Je savais Nadine hermétique aux sciences occultes, en bonne scientifique qui se respecte, ainsi je ne jugeais pas bon de lui présenter R.. Je crois même que c’est une des raisons qui a fait qu’elle et Timoré s’étaient séparés, la différence de foi, jusque dans un amour qui semblait pouvoir résister à tout, et cela même aux divergences politiques. Elle affichait clairement son centrisme républicain à tendance de droite conservatrice, tandis que Timoré était clairement d’extrême gauche, anarchiste, et il se méfiait des illuminati qui se trouvaient dans tous les mouvements politiques conventionnels, pour diriger le monde à la perte qu’on lui connaît. Et ils y réussissent diablement bien les bougres.
Pourtant, après ce que je venais d’avoir lu, je savais que ces conspirateurs, cet état dans les états n’étaient qu’un groupe de pantins face à l’organisation que Timoré voulait démasquer. Mais justement cette connaissance qu’avait eue Timoré lui avait été fatale — j’en étais presque sûr alors, mon ami avait été assassiné — et c’est moi maintenant qui portait la responsabilité de cette terrible connaissance, et qui risquait à mon tour de perdre la vie, et peut-être bien pire encore.
Je pris une arme avec moi et sorti de mon appartement. Samantha était partie pour la semaine, un défilé de mode où elle était maquilleuse, et je n’avais donc rien à justifier. Je pouvais même disposer de l’appartement à ma guise et ramener qui je voulais, na !
Bien que nous fussions en mai, il faisait encore relativement froid et je mis un cache-nez qui ne pouvait que donner un coup de pouce naturel à mon charme. Je me trouvais, en un mot, élégant, et parti très sûr de moi à mon rendez-vous galant.
Nadine poussa un cri d'effroi en voyant la plaque d’immatriculation qui était à l’arrière de la voiture que les grues sortaient de l’eau. C’était celle de Timoré. Mais je la rassurai en lui expliquant qu’il avait revendu sa vieille C12 au profit d’un modèle plus récent du même constructeur. Et que sa plaque minéralogique était partie au nouveau propriétaire. Nous nous rapprochâmes néanmoins du lieu de l’accident. Des badauds nous expliquèrent qu’hier tard dans la soirée une voiture avait défoncé le parapet et s’était ainsi précipitée dans la Seine, au niveau du quai d’Orléans. Il était trop tard alors pour entreprendre quoi que ce fût, car c’était un samedi soir et il y avait trop de passants. Ce matin la grue a eu quelques problèmes pour trouver l'endroit exact de la noyade, ce qui expliquait le retard. De toute manière il n’y avait déjà plus rien à faire. Que voulez-vous, lorsqu’un gars y veut en finir avec ses jours on peut rien contre ça. Me dit un de ces braves hommes qui étaient revenu déjà ce matin pour rien et assistait enfin à ce spectacle inhabituel dans les rues de Paris. Pour ma part cette explication ne me satisfaisait pas. Comme si on avait fait exprès de retarder les secours. Le coup classique. Même les services secrets américains n’emploient pas des méthodes plus subtiles pour éloigner l’aide que l’on pourrait apporter à ceux qui subitement deviennent indésirables pour l’ordre républicain. Si je me souviens bien, il y avait eu à peu près le même délai pour retarder les pompiers lors de l’incendie des bureaux d’une célèbre banque. Bien sûr ces événements ne sont pas liés, bien que les instigateurs puissent être les mêmes après tout.
Tout à coup quelques-uns des curieux poussèrent des clameurs choquées. Le corps de la victime — qui n’était pas Timoré, dieu merci — était entièrement ligoté. C’était un meurtre, à n’en pas douter. Un des secouristes se mis alors à courir en éloignant tout le monde. « Ça va sauter, barrez-vous !! » Ce ne fut plus une surprise lors de la déflagration évidemment, mais cela n’empêcha pas le véhicule d’exploser avec une rare violence. Une charge très puissante avait été installée et reliée à la portière avant gauche. Le corps ne sera ainsi pas reconnu. Les flammes, malgré l’humidité de l’automobile, commencèrent à dévorer la peinture de la carrosserie. C’était fini.
Nous nous éloignâmes moi et Nadine. Nous nous étions retrouvé comme convenu sur les bords de Seine, et nous avions fait un petit bout de chemin, en discutant de notre brave ami. Elle et lui s’étaient quittés en assez bons termes et la vieille passion ne pouvait vraiment s’estomper. Elle était en train de me raconter cela, lorsque nous avons vu ces grues. Nous nous sommes rapprochés et Nadine s’est alors mise à hurler.
Je pensais qu’après ces émotions il n’était plus nécessaire de vouloir commencer mes avances. Cela aurait été effectivement déplacé. Nous avons mangé dans un petit troquet, à seize heure, en plein après-midi, pour nous quitter ensuite l’humeur assez morose.
De retour chez moi je me fis couler un bon bain chaud, lorsque le téléphone sonna, sur le fait de Samantha qui voulait me passer un petit bonjour. Sa sollicitude me toucha, surtout en ces moments pénibles.
Samantha, si jamais tu lis un jour ces mots, sache que même si j’ai cherché un jour à te faire des infidélités, je le regrette maintenant. Tu es une gentille fille.
Lorsque j’entendis le timbre de sa voix, je regrettai aussitôt d’avoir cherché un jour à lui faire des infidélités. Je lui expliquai ce que j’avais vu durant ma journée, en omettant bien sûr la présence de Nadine. Elle s’en trouva désolé, mais me conseilla fort justement d’aller voir la police demain pour plus de renseignements. Après tout, peut-être que cela était encore lié à Timoré. Mais pouvais-je encore faire confiance à la police ?
Je ne savais plus trop quoi faire pour les jours qui suivirent. Le cadavre dans la voiture fut malgré tout identifié. Juste avant de plonger à toute allure dans le fleuve, un radar avait été déclenché et l’avait photographié. Il s’agissait d’un dénommé Robert Raubichu, agent d’accueil à mi-temps à la C.A.F de Lille et sophrologue pour l’autre partie. Robert était bien connu des services de police pour exercice illégal de la médecine. C’était lui qui avait racheté la voiture de Timoré. Était-ce mon ami qui était visé dans cet attentat, ou bien Robert était-il lié lui aussi à toute cette affaire ? Le fait qu’il y ait eu une explosion, par bombe, confirmait la thèse de l’attentat, mais en revanche comment expliquer la précipitation de la voiture, et le corps lié à l’intérieur ? C’était bien Robert qui avait été pris en photo. Et sur cette photo il tenait le volant à deux mains. Les tous premiers résultats indiquaient que c’était bien la même personne qui avait été ligotée, mais il fallait encore attendre un peu le rapport du médecin légiste pour en être totalement sûr. De plus, comment avait-il pu garder l’ancienne immatriculation de cette voiture alors qu’il résidait à Lille ?
Voilà les question qui se posaient à l’inspecteur Kytabyszczski ainsi qu’à moi-même, dans son petit bureau du IVe arrondissement de Paris. Il m’avait prévenu par téléphone pour me signaler la découverte de l’ancien véhicule de mon ami, et je me suis bien gardé de lui dire que j’étas moi-même sur les lieux lors du treuillage de l’épave.
Je pris une mine contrite, et lui demandais ce qu’ils comptaient faire. « Nous avons déjà prévenu nos collègues de Lille, ils vont essayer de réunir un peu plus d’informations sur ce Robert Raubichu, cela va peut-être prendre deux ou trois jours supplémentaires. Ensuite, nous verrons les résultats d’analyse des explosifs utilisés, pour voir s’ils correspondent à une marque de fabrique d’un groupuscule terroriste connu. Mais avant tout nous devons savoir quel était le lien entre Timoré et Robert, c’est à dire s’il y en avait eu d’autres mis à part la vente du véhicule. »
Je ne lui ai pas parlé de mes connaissances au sujet de la conspiration, on n’est jamais trop prudent. Je pris congé et me retrouvai dans la rue, l’âme en peine. Je me suis retrouvé au hasard de mes pérégrinations dans la rue de Rivoli, près du Louvres. Je voyais les marchands de souvenirs proposer leurs gadgets inutiles à des touristes intéressés, qui achetaient des habits avec le nom de la capitale dessus. Je pus entendre une de leur conversation en attendant mon bus :
« How much is that ?
— Twenty five Mrs. but if you take two it’ll be only fourty.
— What the hell will I do with two pieces ?
— I don’t know, but it’s cheaper if you take two pieces. »
C’est à ce moment-là que le bus arriva, si bien que je ne sus jamais si cette touriste allait acheter ces deux tailles-crayons en forme de tour Eiffel.
Je poinçonnai mon ticket sitôt arrivé face au chauffeur tandis qu’une vieille dame lui demandait si le bus allait bien en direction de la tour Montparnasse. Un homme d’une trentaine d’années monta alors avec un paquet plus haut que lui, en carton épais, et le mit sur les premières marches en vue de monter dans le bus. Il préparait déjà son billet, empêchant une partie des autres usagers de passer par le côté gauche du véhicule. Alors le conducteur du bus lui dit qu’il n’était pas possible de monter avec un tel colis. Le pauvre homme semblait alors désolé de devoir supporter le prix d’une course de taxi. Dans le bus je m’installai dans les places qui font face à d’autres, en espérant qu’une petite vieille ne me demanderait pas de changer de place parce qu’elle ne supporte pas de rouler dos à la direction du bus.
J’avais un journal avec moi, mais il ne relatait pas les fait de la veille. Je découvris néanmoins un article intéressant sur la galerie Stanislas Savomaïtch. Ce journal on ne peut plus banal faisait ainsi des entrefilets sur l’art contemporain... c’était assez étrange. Il disait donc que l’installation de Taï-ih Chen, « Les Rouleaux Compresseurs du Printemps », prendrait place à partir du 21 mai, soit deux mois jour pour jour après le début du printemps. Je me promettais de demander sitôt arrivé au journal, le mien cette fois, pourquoi nous n’avions pas été prévenu avant les autres, nous qui étions spécialisé dans ce créneau.
Je levai les yeux juste pour remarquer qu’il était tout juste temps que je sonne pour demander à descendre, mon arrêt pour prendre ma correspondance étant en effet le suivant.
Je poinçonnai mon ticket sitôt arrivé face au chauffeur tandis qu’une vieille dame aux cheveux teints lui demandait si le bus allait bien en direction de la tour Montparnasse. Un homme d’une trentaine d’années monta alors avec un paquet plus haut que lui, en carton épais et ocre, et le chauffeur le pria de descendre car il était interdit de faire le voyage avec de tels colis. L’homme protesta, puis finalement comme il n’y avait rien d’autre à faire, il descendit en insultant le conducteur.
De retour chez moi, je trouvai dans le courrier une lettre dans une enveloppe noire. Celle-ci m’intrigua sur le champs, je n’attendais rien de particulier. En sortant la carte qui se trouvait à l’intérieur, je ne pus m’empêcher d’être choqué par la forme de celle-ci : comme un cercueil, il y avait mon nom d’inscrit dessus, et à l’intérieur un unique avertissement :
« Arète tous de suite avan qu’il soit trau tard. Un axident est vite arivé. »
Je n’avais pas alors pris cette menace très au sérieux, et je me suis contenté de conserver cette missive pour le moins originale.
Le frère de Robert Raubichu, Georges, avait monté une boutique d’articles S.M., nommée « La maison de Correction », pour jeunes gens pas très sages, comme disaient la publicité et l’enseigne. Cette boutique, située rue de la Gaîté, avait une fréquentation masculine assez importante et se situait parmi celles qui avaient le plus mauvais goût en matière de décoration intérieure.
On percevait assez nettement la volonté du propriétaire d’en faire un établissement « select », mais ce n’étaient pas les tentures fushia et encore moins le comptoir en marbre rose qui parviendraient à en faire germer l’idée chez quiconque de sain d’esprit entrerait dans cette boutique. Mais fallait-il être tout à fait sain d’esprit et de morale pour entrer dans un tel magasin ?
La police avait établi finalement le rapprochement entre les deux hommes — Raubichu étant un nom peu représenté dans l’annuaire téléphonique — et avait convoqué Georges dans le petit commissariat du 15, rue de l’Arrivée, près de la gare Montparnasse. Georges avait tout de suite été odieux avec les agents, pensant tout d’abord que cela était une suite de l’affaire qui l’avait touchée quatre années auparavant, au sujet de proxénétisme aggravé.
Il n’avait pas eu de nouvelles de son frère, « l’autre grand con de mystique » comme il l’appelait. Georges en effet n’était pas un homme avec une spiritualité très développée ; il lui faudrait certainement passer par de nombreux cycles de réincarnations pour espérer un jour renaître dans un corps apte à recevoir l’illumination divine, lui avait expliqué son frère. Depuis lors il y avait eu un froid entre les deux hommes, ils ne s’étaient revus qu’au moment du décès de leur oncle Anatole, et s’étaient d’ailleurs disputés au sujet de l’héritage, « non pas parce que l’argent m’intéresse, avait dit Robert, mais par principe ».
Cet homme, je ne l’avais pas encore vu au moment des faits, mais je l’ai rencontré de façon fortuite par la suite, sur un terrain neutre et loin du milieu ésotérique. Je raconterai par la suite, si j’en trouve le temps, comment cette rencontre originale eut lieu.
Georges Raubichu s’était donc expliqué longuement sur « l’autre grand con de mystique » dans les locaux du commissariat, au cours d’un interrogatoire tendu, mais il s’avéra rapidement pour la police que les deux hommes n’avaient plus eu de contacts depuis longtemps.
Leur mère, Jacqueline Ledoux, avait eu une enfance aisée dans la banlieue nord de Dijon, ses propres parents ayant d’ailleurs encore ce petit pavillon champêtre loin du fracas du centre-ville. Jacqueline avait ensuite fait des études de psychanalyse à l’université Dijon IV, et c’est sur le campus de celle-ci qu’elle avait rencontré Edmond Raubichu, alors étudiant en sport-étude de football. Son côté brusque et braqué l’avait tout de suite séduite, elle savait que ce genre d’homme cachait une sensibilité à fleur de peau, et la pauvrette s’était mise en peine de la découvrir quoi qu’il lui en coûte, ce qu’elle fit d’ailleurs au moment où Edmond sur son lit de mort, lui révéla le secret de sa brusquerie, et lui avoua l’avoir toujours aimée comme au premier jour, l’ayant finalement préférée à une des pompom girls qui étaient de toute façon « toutes plates comme des limandes ».
Ah décidément ! Moi et l’informatique, cela fait 1011000 !
J’avais oublié l’autre jour que j’avais pris les disquettes avec moi dans la poche intérieure de mon blouson, et maintenant l’absence présumée du disque dur était simplement causée par le fait que j’avais laissé une disquette dans le lecteur ce qui avait fait croire à l’ordinateur, cet idiot, que l’on voulait démarrer non pas sur le disque dur mais sur la disquette. Enfin, nous sommes tous faillibles, alors on ne peut guère en vouloir aux ordinateurs de refléter nos défaillances. Je retirai donc la disquette et l’ordinateur boota enfin tout seul.
Je me retrouvai donc de nouveau face à l’écran du computer de Timoré, découvrant dans les dossiers temporaires du système d’exploitation des essais sur diverses facettes de l’ésotérisme moderne. Par lequel commencer ? Les titres étaient évocateurs et aucun ne donnait envie de passer à côté de la sapience qu’il pouvait potentiellement recèler : helenablavat.doc, sephiroth.doc, ~dissolu°.tmp, ~df8b58.tmp, user0.dat, secret_soc.doc, xxxdeborah012.jpg, maelstroem.doc, foifoisse.rtf...
J’ouvris par pur hasard helenablavat.doc, c’était une amorce de biographie de la grande prêtresse de l’occulte ! En plus de celle de la réalité structurelle du monde environnant, Timoré avait également ces dons d’historien de l’âme que j’avais déjà pu un peu déceler dans son texte sur le fondateur de l’ordre des Tulipes-Croix. Il ne s’agissait pas d’aligner des faits historiques pour être un tel historien, mais il fallait sentir toute la sensibilité du sujet biographé, une tâche qui nécessitait humanité et tendresse pour l’objet de l’étude scientifique, une tâche qui nécessitait d’être plus qu’un simple scientifique.
Je me doutais que les cours de diamétique© avaient été d’un grand secours à mon ami pour apprendre à surmonter le vilain égo qui faisait obstacle à l’unification vers le grand Tout où se trouvait l’esprit des grands de ce monde, comme le comte de St Germain, Nostradamus, Krisnha, Leonard de Vinci, Aleister Crowley, James Dean et Paracelse. Du haut de leur refuge nébuleux où ils tenaient assemblée pour permettre à l’Humanité de s’améliorer jusqu’à atteindre un niveau similaire de conscience libérée, ils envoyaient leurs émissaires inspirer des gens comme Timoré pour raconter leur histoire, histoire toute simple d’individus qui avaient par leur humilité transcendé la destinée du genre humain.
Et si je faisais plutôt un petit tour parmi ses emails ? Il les avait tous archivé dans son logiciel de messagerie, et c’était très facile pour moi de repérer les plus intéressants :
|-- from : refizone7630@yahou.com
subject : Breakthrough Technology....Reduces INCHES!
|-- from : ptszone6479@hotmail.kg
subject : Open A New Credit File!
AAA Credit Profile Created in 24 Hours! Guaranteed!
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Aucun intérêt. Mais celui-là m’a l’air plus intéressant :
subject : RE : pierre philosophale
Cher ami, j’ai effectivement trouve la pierre philosophale, mais vous imaginer bien que je ne peux pas vous revele le detail de ceci dans un vil message electronique. Je vous propose de prendre contact avec moi par telephone que l on convienne d un lieu de rdv. Ca marche ? mon portable est 06 48 ## 66 64 salutation f.:.ternelle
Claude
Serait-ce le vrai comte de Saint Germain, qui vit depuis 600 ans ? Je ne pouvais le croire.
à suivre… (de nombreux chapitres en préparation !)
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